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Croire en l’Ukraine c’est croire en nous-mêmes

 

La visite d’Angela Merkel et de François Hollande à Kiev et à Moscou a eu l’immense mé-rite de constituer -enfin- une initiative de haut niveau pour tenter de stabiliser la crise ukrainienne. L’on peut craindre cependant que la détermination de V. Poutine demeure sous-estimée. Une Ukraine indépendante, dans ses frontières internationalement recon-nues, est un obstacle imprévu d’un plus vaste dessein et pour lequel, comme il l’a déjà montré tous les moyens seront utilisés. Trop de gens pensent que cette opération en Ukraine, pour choquante qu’elle soit au regard du droit international et du droit des peu-ples à disposer d’eux-mêmes, n’est pas illégitime. Elle participe en réalité de la restaura-tion d’un troisième empire, après celui des tsars et celui des commissaires. Involontaire-ment, V. Poutine aura donné au peuple ukrainien une identité nouvelle et un destin dé-sormais distinct de celui de la Russie. En croyant se servir de l’histoire, il l’a fait se retour-ner contre lui.

 

Après des siècles de bouleversements, l’Ukraine n’est pas, n’est plus, cet Etat hétérogène et illégitime, voire « provisoire », expression de V. Poutine lui-même, que certains dépei-gnent sous influence  russe. Après le rejet par le peuple du régime de Yanoukovitch, les élections présidentielles et législatives de 2014  ont montré pour la première fois la dispari-tion du clivage traditionnel entre l’Est et l’Ouest. Le Parti des Régions qui rassemblait les ukrainiens russophones est éliminé. C’est à l’Est que les appelés rejoignent en plus grand nombre l’armée pour résister aux « séparatistes ».

 

Nous devons prendre acte de cette réalité nouvelle et avoir le courage de reconnaître que les aspirations du peuple ukrainien sont aujourd’hui à l’image de ce que nous avons tou-jours enseigné et parfois inspiré dans notre histoire. Ce conflit entre deux Etats souverains  recouvre une nécessité morale mais aussi un défi pour notre propre avenir. A quoi bon de mettre en avant nos valeurs, et de marcher pour notre propre liberté, si nous ne sommes pas capables de nous mobiliser aussi pour celle des autres. Devons-nous accepter que certains Etats, comme par droit de naissance, se voient reconnaitre une zone d’influence ? Ferons nous bientôt partie de l’ »étranger proche » de quelque grand voisin ? A ce comp-te-là, pourquoi ne pas reconstruire le mur de Berlin ou nommer un gouverneur russe à Varsovie ? Que signifie pour nous le respect des frontières internationalement reconnues? Le moment ukrainien est aussi un moment européen.

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Nous devons, nous Français, faire ce choix, pour notre propre avenir en Europe, large-ment compromis par notre pusillanimité condescendante pour cette autre Europe qui est en passe aujourd’hui de nous donner des leçons de dynamisme après nous avoir donné celles du courage.

 

Il ne s’agit pas de mourir pour Donetsk mais de vivre en fonction de la nouvelle réalité eu-ropéenne dont la sécurité se joue à l’Est autant qu’au Sud. L’équilibre de l’Union euro-péenne s’est en effet déplacé. Le choix d’un ancien premier ministre polonais comme pré-sident du Conseil de l’Union est en soi un évènement considérable, et parfaitement sym-bolique de cette évolution. L’éclatement de l’Ukraine serait une atteinte sur le long terme à la sécurité de l’Europe. L’Ukraine est, après la Yougoslavie, un exemple concret de la né-cessité d’une politique de défense européenne commune. Allons-nous échouer à nouveau ?

 

Dans quel camp serons-nous? Celui qui demeure prêt à se battre pour des valeurs aux-quelles il croit? Ou celui qui n’a plus de valeur donc plus d’espoir à force de ne pas vouloir se battre? Or il est évident que l’Ukraine a besoin d’aide: d’expertise, notamment militaire, pour défendre son indépendance; économique, pour éviter l’implosion attendue par ses adversaires; juridique et politique afin de comprendre que ce qui se joue à Kiev n’est pas seulement une lutte de factions mais bien la construction d’un Etat dans lequel les jeux ne sont pas purs et parfaits. L’ancien système subsiste, noyé dans le réseau complexe des influences et de la corruption et, à beaucoup d’égards, le pouvoir légitime ukrainien peut apparaître comme un lutteur qui aurait au moins une main attachée dans le dos. C’est cet-te réalité-là que nous devons voir, afin d’y ajuster nos actions.

 

Reconnaître le légitime combat de l’Ukraine pour son intégrité territoriale est non seule-ment un devoir que nous nous devons à nous-mêmes mais surtout une nécessité. Nous ne pouvons d’autant moins y être indifférents qu’elle est le révélateur d’une évidence ou-bliée: l’Europe ne pourra se construire si elle ne sait pas où elle s’arrête et si elle ne prend pas conscience que la guerre, que l’on vient d’identifier au sein même de sa société, de-meure également à ses portes et que ses esprits n’y sont pas préparés.

 

 

François Barry Delongchamps, ancien ambassadeur de France en Pologne et

Alain Delcamp Secrétaire Général honoraire du Sénat

 

Paris, le 7 février 2015

 

Intime résonance – l’art de la sculpture de Ania Pabis Guillaume

 

 

 

Clair de lune d'hiver —

l'ombre de la parole de pierre

 — l'ombre du pin

(Hiver) Shiki Masaoka

 

Par réflexe

 

le titre inspirerait presque une fragilité, celle de l’intimité dévoilée juste avant le triomphe de la réflexion ou celle de l’hardiesse du moment de la confidence. Peu importe l’audace ou la délicatesse du ressenti, les sculptures d’Ania Pabis Guillaume renferment un harmonieux secret du dialogue de l’être avec sa propre essence. Qu’il soit question de la féminité et de la sensualité, de la force et de la férocité de la nature, de nos ambiguïtés ou de ce que l’on croit des évidences, ses œuvres nous ouvrent une possibilité de dialogue entre leur proposition de forme et notre écriture intime. Une sorte d’union entre la création et sa perception, qui semble puiser ses sources dans l’art oriental et qui permet aux principes fondamentaux de rester unis en un souffle. Une féconde fugue vers une liaison gracieusement dangereuse pour cette Européenne accomplie.

 

Une liaison

 

qui ne s’égare pourtant pas dans une simple recherche de la sensibilité narcissique du spectateur. Le travail d’Ania Pabis Guillaume discute avec son public grâce aux références culturelles et littéraires. Les formes puisent dans le mouvement de la nature, des arbres, des feuilles, des éléments. La plénitude de sa conversation avec l’Autre s’appuie sur un don de l’Artiste, qui s’emble nous offrir comme point de départ son expérience, son énergie. Une proposition d’engagement émotionnel du spectateur dans l’art du partage…après tout comme le disait son confrère des Figures Etendues, Henry Moore « tout le monde pense avoir compris, mais en fait pas vraiment, tu sais… »

 

« Pas vraiment »

 

est d’ailleurs le divertissement préféré des sculptures elles-mêmes. Si familier pour la sculpture, le droit de changer de point de vue, devient un perceptible labyrinthe de « jeux de positions » chez les œuvres d’Ania. Certains de ces objets ont été crées on dirait sans un sens ou une attitude prédéfinie. Ils vivent, marchent, tournent, s’entrelacent, s’empilent, s’animent, en un mot se transforment selon le côté sur lequel on le pose. Mais ils gardent toujours le même charisme et le même appétit de créativité. Ils sont comme ceux de Tony Cragg J’m Alive !

 

 

Vivante,

 

dans une circulation des tonalités pleines de vie, d’émotion et d’humanité profonde, telle est l’expérience de la rencontre avec les œuvres d’Ania Pabis Guillaume…mais malgré ce dialogue, et n’importe leur matière, elles savent rester de marbre face à nos investigations. Leur intégrité permet aux spectateurs l’expérience…d’une intime résonance.

 

 

« Conversation avec la pierre »

(…)Je frappe à la porte de la pierre.

- C'est moi, laisse-moi entrer.

Je viens par pure curiosité.

La vie en est l'unique occasion.

Je tiens à me promener dans ton palais,

Avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.

Je n'ai pas beaucoup de temps pour tout cela.

Ma mortalité devrait t'émouvoir. (…)

Wislawa Szymborska

 

Texte : Agnieszka Slosarska,  Paris, 19 novembre 2014